jeudi 19 septembre 2013

Notre émission du 19 septembre: DISCUSSION AVEC ANDRÉ FORCIER


Dans le cadre de la rétrospective de sa filmographie complète à la Cinémathèque Québécoise , le 7ème parlera dans les semaines à venir de son affection demesurée pour les films de "l'enfant terrible" de notre cinématographie. Les meilleures lignes, le moments de poésie inoubliable, la charge sexuelle sans pareille que notre cinéma actuel peine à frôler , Guy L'écuyer.... La totale.

Pour commencer en beauté, un entretien d'une heure avec l'homme, le temps de parler de sa carrière, de son verbe, de ses déceptions et de ses triomphes, de cul et d'art, de jazz, de blues et de cette soif indicible d'américanité.

(Ok, juste une fois, pour la luck)





"ENWOÈYE PANAMA! DÉFONCE!"


lundi 9 septembre 2013

Spécial d'un mois sur le cinéma de Raoul Ruiz: Cartographie de l'univers mental d'un cinéaste

Pour écouter nos 4 émissions sur le cinéma de Ruiz, cliquer ici:
1-"TROIS VIES ET UNE SEULE MORT" (1996) Mastroianni, Carlos Castaneda, Le Tarot , Borges, jeu et regard dans l espace et démantèlement de l'identité.
2-"LES TROIS COURONNES DU MATELOT" (1983) ou le cinéma comme embarcation. 
3-"L'OEIL QUI MENT" (1992), un vrai monstre de film et un faux film de monstre
4-SURVOL D'UN MONDE: "L'HYPOTHÈSE DU TABLEAU VOLÉ" (1979), "LE TERRITOIRE" (1981), "ZIG ZAG" (1980) et "LES MYSTÈRES DE LISBONNE" (2010)


Cinéaste prolifique à l’esthétique baroque, vivant au quotidien avec son imaginaire, puisant allégrement dans ses multiples références littéraires et théoriques, Raoul Ruiz aura su mélanger adéquatement les sensations et l’intellect. Jouant beaucoup avec les contradictions (il tenait toujours deux carnets de notes, un pour le jour et un pour la nuit, afin de mieux se contredire), il se dit cinéaste chamanique. En ce sens, tel qu’il l’explique dans son ouvrage « Poétique du cinéma » publié chez Dis-voir en 1995, Ruiz est un médiateur créant des films ouverts, à plusieurs sens, permettant la rencontre du spectateur avec l’autre monde. Son cinéma mise donc sur ce qui est indescriptible par l’usage des mots et vise à une familiarisation d’un langage des images. Il en résulte alors une expérience poétique comme on en a rarement vu au cinéma.


Né au Chili en 1941, Raoul Ruiz étudiera en théologie et en droit avant de se tourner vers le cinéma. Déjà ambitieux dans sa création, il se lancera en 1956, à l’âge de 15 ans, l’objectif d’écrire 100 pièces de théâtre dans sa vie. Il aura dépassé ce nombre 6 ans plus tard. Il écrit alors des feuilletons pour la télévision mexicaine avant de réaliser son premier long métrage, « Trois tristes tigres », qui décroche le Léopard d'Or au festival de Locarno en 1969. Il quitte le Chili suite au coup d’État en 1973 pour s’exiler en France. Ruiz fera de son exil le thème nourricier de son œuvre. Peu après son arrivée en France, l’INA (Institut national de l’audiovisuel) lui sera d’une aide importante puisqu’il lui permettra de faire ses premières œuvres en territoire français. Il saura vite se créer une nouvelle famille en s’entourant de personnes qui l’aideront dans sa création. Par exemple, Sacha Vierny et Henri Alekan, deux maîtres de la direction photographique, ont un énorme crédit pour l’image des films de Ruiz, riches en expérimentations visuelles. Dès lors, Ruiz enchaîne les tournages de façon boulimique. Ses films étant très souvent des commandes, il aura su à chaque fois faire passer sa vision.

L’immensité de l’œuvre étant impossible à parcourir en une émission, le 7e Antiquaire s’est donc lancé le défi de faire un mois complet, à raison de quatre émissions pour 7 films, sur le cinéaste. Nous tentons donc de faire la cartographie de son univers mental. On délimite d’abord le territoire, on positionne les films, on définit la carte par des thèmes, des styles, des langages, puis on se recule pour voir l’ensemble. On observe alors ce qui ressemble à une mappe qui propose plusieurs parcours possibles. Celui que nous avons choisi de parcourir nous fait découvrir (ou redécouvrir) quelques films, en commencant par « Trois vies et une seule mort » (1996). (cliquer ici pour l'écouter)

Première co-scénarisation entre Raoul Ruiz et Pascal Bonitzer, mettant en vedette l’excellent Marcello Mastroianni dans son avant-dernier film, le tout narré par Pierre Bellemare, « Trois vies et une seule mort » est un exemple parfait des labyrinthes narratifs propres au cinéma de Ruiz dans lesquels il est facile (et même recommandé) de se perdre. Si une base du récit se trouve dans les lectures du cinéaste des récits de Nathaniel Hawthorne (qui lui-même puisent dans les faits divers), il n’en demeure pas moins que la présence mystique de Carlos Castaneda parcours le film par ses écrits tant sur l’anthropologie que sur le chamanisme. Possiblement une façon de se détacher de ce dernier, tout en conservant une partie de son enseignement en l’appliquant à la création du film. La notion du double est très présente tout au long du film. Notion qui parcourera l’essentiel de sa filmographie.


Elle se fait d’ailleurs tout aussi présente au prochain arrêt de notre parcours qui se poursuit en reculant un peu afin de choisir un autre embranchement, celui des « Trois couronnes du matelot » (1983). Avec Sasha Vierny à la caméra, Ruiz signe ici un de ses films les plus poussé dans l’expérimentation visuelle. Il donnera comme références à Vierny pour la composition d’image des bandes dessinnées de Milton Caniff. Construit comme un courant d’histoires de marin s’emboîtant l’une à la suite de l’autre (ou l’une dans l’autre) pour être au final retenu par l’introduction et la conclusion (l’expression de « film book-end » mentionné par Jean-Michel durant l’émission fonctionne à merveille), les récits trouvent leurs sources dans une variété de références littéraires comme Hans Christian Andersen ou Isak Dinesen pour n’en nommer que quelques-uns. Cependant beaucoup des idées de récits sont venues des souvenirs d’enfance de Ruiz puisque son père ainsi que son grand-père étaient tous deux marins. Narrativement construit de façon labyrinthique, le film est un bon exemple pour comprendre le rapprochement qui a souvent été fait entre Raoul Ruiz et Jorge Luis Borges. Film d’errance sur un bateau fantôme, « Les trois couronnes du matelot » reste un des films emblématiques de son auteur.


 Le parcours se poursuit vers un chemin plus ludique cette fois, à moins que ce ne soit qu’un leurre. « L’œil qui ment »(1992)  mélange d’une étrange manière l’humour loufoque à l’horreur angoissante. Avec une distribution improbable (Didier Bourdon, John Hurt, David Warner), le film se base sur des théories gnostiques pour les intégrer aux codes du cinéma fantastique. Aidé du producteur Leonardo de la Fuente qui vient de produire « La double vie de Véronique » de Krzysztof Kieslowski, Raoul Ruiz a alors droit à son plus gros budget et peut donc se permettre une équipe plus importante qu’à l’habitude. Il tourne alors pour la première fois en 35mm avec la Arriflex 535 et profite des possibilités que lui offre ce format afin d’exploiter au maximum son talent à organiser les volumes et l’espace. Ayant en tête les écrits de Tertullien sur la pluralité des âmes, Ruiz recrée avec ce film une sorte de sainte trinité dans les personnages d’Anthony, sa femme Ines, et un étrange marquis. Le tout sous l’observation du docteur interprété par Didier Bourdon qui cherche à rationaliser les nombreux phénomènes étranges se passant dans ce village utopique dont l’unité de la nation est déboussollé par des apparitions de saintes vierges. Plus accessible narrativement que ses films précédents, il reste marqué par les préoccupations habituelles de son auteur. Ruiz disait dans un entretien donné pendant le tournage qu’il était en train de faire quelque chose qui n’est pas loin des Monty Python. Il n’avait pas tort. 


Pour le dernier arrêt sur le territoire Ruizien, nous avons concocté une émission multiple, à l’image de ses films. Tel un potluck cinématographique, nous avons apporter nos différents films sur la table afin de conclure en beauté (et en quantité) sur ces caractéristiques qui font le cinéma de Raoul Ruiz (et aussi parce qu’on est devenu accro au cinéaste et qu’on avait juste le goût d’en voir encore plein). On débute donc cette ultime émission du mois Ruiz avec ce qui est assurément un de ses films les plus importants, « L’Hypothèse du tableau volé » (1979). Un collectionneur de tableaux nous introduit au travail d’un peintre par l’entremise de l’étude d’une série de six tableaux (le 7e ayant été volé). Avec les commentaires d’un narrateur, le collectionneur nous invite à explorer les éléments reliant chacune des peintures afin de trouver une possible explication de ce que représente le tableau volé, et le possible message véhiculé par le peintre. Pouvant sembler rébarbatif au permier abord, ce film à la limite du film de fiction et du film informatif n’en est pas moins fascinant si on accepte d’entrer dans cette exploration didactique. Suite à une offre de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) pour réaliser un épisode télévisé d’une émission sur les philosophes, Ruiz choisi Pierre Klossowski. Après avoir visionné quelques épisodes de l’émission, il décide d’en conserver le style narratif bancal tout en transposant plusieurs des écrits de Klossowski dans son exercice. Utilisant les ressources qu’offrent le cinéma, Ruiz permet l’exploration des tableaux par une caméra qui se positionne à divers angles possibles à l’intérieur même des scènes de ces peintures, recréées avec des acteurs immobiles se positionnant de façon à reproduire l’image des tableaux. Malgré les apparences, l’occultisme sera au rendez-vous et le film de Ruiz devient un précurseur de l’hyper-sigil (comme seul Jean-Michel est capable de l’expliquer admirablement dans l’émission), mais aussi un excellent exemple de ce que le 7e Antiquaire fait chaque semaine en terme d’interprétation. Au final, « L’Hypothèse du tableau volé » est une excellente réflexion théorique sur la nature de la représentation, puis par extention, sur la représentation au cinéma.


 On tourne ensuite à 90 degré vers un film presque inconnu du réalisateur, Le Territoire (1981). Ruiz décide de tourner rapidement ce film pour se créer un portfolio à montrer à d’éventuels producteurs américain pour un projet de film. Avec l’aide d’Henri Alekan à l’image, Ruiz se positionne dans le film de genre et crée un dérivé du film de survie en forêt tournant dans l’horreur et le cannibalisme (Roger Corman et ses exigences comme co-producteur y sont pour quelque chose). Sans être un film majeur dans son œuvre, son tournage, lui, est fascinant. Tel le concept du territoire mis en abyme dans le film (la mappe du pays étant à l’intérieur de la mappe de la province, étant elle-même à l’intérieur de la mappe du parc..), Ruiz tourne le film pendant q’une équipe de la BBC tourne un documentaire sur son tournage, cette équipe étant elle-même suivi pour un reportage tv, le tout étant observé de loin par nul autre que le cinéaste Wim Wenders qui est dans les parages pour un projet de film dont le sujet se rapproche de cette situation. Malgré les intentions de départ, le film sera distribué comme un film d’art, Corman le désapprouvera, puis Ruiz, sans le vouloir, aura réussi à faire dans le chamanisme cinématographique par son experience borgésienne de tournage.

 On bifurque rapidement vers un chemin court mais plutôt tortueux nous menant à « Zig Zag, le jeu de l’oie » (1980). Projet de film de 30 minutes commandé par l’INA pour une exposition sur la cartographie tenue au Centre Pompidou. On reste donc dans le thème, mais cette fois-ci de façon plus ludique en parcourant les cases d’un jeu de l’oie à l’échelle réelle du quartier, de la ville, du pays, pour en venir à une échelle cosmique où le protagoniste, joué par Pascal Bonitzer, se retrouve dans une dimension mentale qui nous ramène à la case départ. Ruiz s’amuse et on n’hésite pas à jouer le jeu. 

 Notre parcours sur ce territoire de moins en moins inconnu ne se termine pas par la case départ mais plutôt tout prêt de la case finale, avec un de ses derniers films, le démesuré « Les mystères de Lisbonne » (2010). Film fleuve de près de 4h30 au cinéma ou série de 6 épisodes à la télévision, Ruiz signe ici une œuvre beaucoup plus classique narrativement et visuellement que ce à quoi notre parcours nous a jusqu’à présent habitué. Inspiré d'un roman de l'écrivain portugais Camilo Castelo Branco, les thématiques habituelles chères à Ruiz s’y retrouvent inévitablement. Tel le personnage du curé qui a eu plusieurs identités durant sa vie, la notion du double identitaire y trouve sa place. Tout comme la mise en abyme de la représentation qu’on observe par l’intermédiaire de scène du théâtre de marionnettes que le personnage de Joao se plait à produire. Plus romanesque, ce film démontre que Ruiz maitrisait toujours parfaitement son médium jusqu’à la fin de sa carrière.



Ce parcours labyrinthique n’est qu’un des nombreux chemins possibles à prendre pour découvrir ce cinéaste fascinant dont la filmographie si dense (possiblement le cinéaste ayant réalisé le plus grand nombre de film) n’est presque pas accessible en distribution. Mort en 2011, le cinéaste Raoul Ruiz laisse derrière lui entre 120 et 150 films (courts, moyens, longs, télévisuels) selon les diverses sources consultées. Gardons espoir que plusieurs de ses films perdus se feront retrouver, que plusieurs de ses films orphelins trouveront distributeurs, afin de découvrir la suite de cette œuvre monumentale. Nous pourrions ainsi finaliser cette cartographie de l’univers d’un cinéaste qui savait grapiller, détourner, reprendre tous les textes qui l’inspiraient afin de se les réapproprier cinématographiquement, tout en gardant une liberté de création hors du commun. 

-DAVID FORTIN