jeudi 19 décembre 2013

Émission du 12 décembre 2013 : BILLY WILDER avec notre invitée Helen Faradji

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Billy Wilder sur le tournage de Some Like it Hot

D’origine autrichienne, Billy Wilder s’est établi à Hollywood comme scénariste avant de devenir le cinéaste qu’on connait aujourd'hui. Il est passé par plusieurs genres (film noir, comédie, drame, romance) mais c’est surtout dans la comédie qu’il aura été populaire. Pensons à Some like it hot, Fortune cookie ou Irma la douce qui sont non seulement des comédies intelligentes mais aussi des films très modernes par leurs sujets et leurs personnages. Son miroir sur Hollywood qu’est Sunset boulevard. Le film phare du film noir qu’est Double indemnity. Ce cinéaste aura créé des œuvres fortes pour lesquelles on ne l’encensera jamais assez mais aussi des films moins connus ou mal aimés qui méritent redécouverte.


Plutôt que de me lancer dans un texte trop long sur un cinéaste que je ne connais que depuis trop peu (la préparation à l’émission m’aura fait découvrir les excellentes comédies du cinéaste), laissons l’émission parler d’elle-même grâce à la pertinence de notre invitée, la critique de cinéma et rédactrice en chef du site web revue24images.com, Helen Faradji.




-David Fortin

mercredi 18 décembre 2013

Émission du 12 décembre 2013 : Les films perdus de CINÉ-CADEAU ou les films d'animation responsables d'un début de cinéphilie.


intro à Ciné-Cadeau (avec quoi en fond d'écran.. NEZHA!!!)

Notre émission de noël en est une de nostalgie cette année. En ce 30e anniversaire de ciné-cadeau, on se rappelle les films d'animation découverts étant enfant lorsque la série en était à ses premières années. On ne parlera pas des habitués (les éternels Astérix et Lucky Luke) mais plutôt des films chinois, russes, estoniens ou français qui faisaient honneur à la programmation audacieuse de l'époque. Non que la programmation récente n'ait pas de bon morceau (on y trouve les très bons « Poulet en fuite » et « Kirikou ») mais ces films non distribués de provenances plus lointaines ne s'y trouvent plus (et il se fait encore de l'excellente animation dans ces autres lieux). L'écart de culture et les techniques d'animation étaient déjà assez pour nous déboussoler mais en plus les sujets traités et les occasionnelles tendances à tomber dans la métaphysique ont assurément laissé les traces d'une cinéphilie naissante dans l'esprit de plusieurs enfants en pleine confusion devant leur télé. Tout ça grâce à la programmation de Ciné-cadeau durant les années 1980, sans quoi nous n'aurions jamais vu ces films d'animation qui sont maintenant devenus pour nous des incontournables.

Polo le chat sans queue

Ces films plus rares que nous a offerts Ciné-cadeau n'ont été diffusés qu'une ou deux fois à l'époque et, faute de distribution au Québec, n'ont jamais réapparus en VHS dans nos clubs-vidéo. Longtemps les enfants, adolescents et jeunes adultes que nous avons été ont donc trainé en souvenir des scènes, des plans, des images marquantes qui ne faisaient pas nécessairement écho chez tout le monde et pour lesquels on n’arrivait pas à mettre un titre de film (un "twonky" pour parler le langage du 7e Antiquaire). Bien sûr avec Internet et Youtube il est maintenant difficile d'avoir le moindrement un twonky récent ou de ne pas les retrouver mais il nous a fallu bien des discussions enflammées pour enfin tomber plusieurs années plus tard sur la personne qui allait enfin nous révéler le titre du film tant recherché. Dans notre cas il s'agit de trois films : Le prince Nezha triomphe du roi dragon (Wang Shuchen, Chine - 1979), Les maîtres du temps (René Laloux, France - 1982), Le roi et l'oiseau (Paul Grimault, France, 1980) (mieux distribué que les deux autres titres mais qui a assurément laissé sa trace dans nos esprits).
Le prince Nezha triomphe du roi dragon

Proche des estampes traditionnelles ou des peintures d'Hokusai, Le prince Nezha triomphe du roi dragon est un conte traditionnel chinois dans lequel un enfant qui a été en gestation pendant 3 ans dans le ventre de sa mère qui, elle, enfante un oeuf qui, lui, se cassant, laisse place à une fleur de lotus de laquelle Nezha va finalement naître, sachant déjà marcher et parler (et ce n'est que l'introduction). Son destin sera de défendre le peuple contre les rois dragons qui sèment la peur sur le village en demandant le sacrifice d'enfants. Comment oublier cette scène marquante au milieu du film montrant Nezha se suicidant pour sauver son village.
Les maîtres du temps

Les maîtres du temps est une adaptation de l'écrivain français Stefan Wul (de son vrai nom Pierre Pairault, identifié de façon erronée durant l'émission comme un écrivain polonais) par le cinéaste d'animation René Laloux avec la collaboration de Moebius (Jean Giraud). Ce mélange intéressant de créateurs donna un film d'animation des plus surprenant par son approche intelligente de la science-fiction et par son sujet métaphysique. Si l'animation souffre occasionnellement du manque de budget, les idées ne manquent pas et l'imagination unique de Moebius est au rendez-vous. L’idée de base : un enfant perdu sur une planète inconnue doit essayer de survivre en suivant les conseils de l'équipage d'un vaisseau spatial allant à son secours avec lequel il est en contact radio. L'espace-temps y mettra du sien pour apporter une des finale les plus stimulante pour les amateurs de métaphysique (et particulièrement confus pour tout enfant devant sa télé). On n'oubliera pas non plus la fameuse scène où l'enfant se fait attaquer la tête par une horde de frelons géants. 
Le roi et l'oiseau

Un film plus connu mais qui a laissé son lot d’images marquantes dans nos esprits d’enfants, Le roi et l'oiseau, dans lequel Jacques Prévert apporte toute sa sensibilité et contribue grandement à rendre ce film le chef-d'oeuvre du cinéma d'animation qu'il est. On a déjà beaucoup dit sur ce film mais pour les intéressés à creuser un peu plus, il existe un texte d'analyse comparative très intéressant (évoqué durant l’émission) entre le film de Grimault et le Metropolis de Fritz Lang dans le Ciné-Nice no11 de 2005 intitulé « De Metropolis au Roi et l'oiseau : questions d'héritages... » par Christel Taillibert (la revue se trouve à la médiathèque Guy L. Coté de la Cinémathèque québécoise).
Pour les curieux, la lettre évoquée aussi durant l'émission que Fellini envoya à Moebius:
C'est donc un retour aux sources de notre cinéphilie pour cette émission du 7e Antiquaire durant laquelle nous débroussaillons les souvenirs que Ciné-cadeau nous a laissé et plongeons plus en profondeur dans certains des films responsables de ces souvenirs.

-David Fortin

Émission du 28 novembre 2013 : LECH KOWALSKI

pour écouter l'émission cliquer ici
Lech Kowalski

Cinéaste d'origine polonaise, né à Londres de parents qui ont fui les camps de concentrations, Lech Kowalski a grandi à New York. Il s'installe rapidement dans le Lower East Side et suit un mode de vie plutôt marginal en s'intégrant dans le milieu artistique qui éclot alors dans cette ville. Durant ce temps, Kowalski observe, filme beaucoup et s’intéresse particulièrement à l'effervescence du mouvement punk qui apparait (il se tient régulièrement au CBGB et au Mud Club, deux clubs où ont performé l’essentiel des groupes punk importants). 
 
Sid et Nancy dans D.O.A.

Lorsqu’il apprend la première tournée des Sex Pistols en Amérique en 1978 il va sauter sur l'occasion et trouver par des moyens plutôt inattendus le financement pour tourner un film (D.O.A.) sur leur venue. Il débutera alors le tournage de son premier film important et, sans le savoir, de ce qui deviendra l'icône cinématographique du mouvement punk. Avec ce film, Kowalski filme aussi les transformations d'un temps. La naissance et la mort du mouvement punk n'auront jamais été aussi bien captés que dans D.O.A.
 
John Spacely sur son skateboard dans Story of a junkie

Lech Kowalski est un cinéaste qui filme le réel. Celui qu'il connait. Celui autour de lui. C'est en partageant le quotidien de John Spacely qu'il va décider de faire un film avec lui (Story of a junkie). Il va apprendre à le connaître d'abord, le projet se développera ensuite au fur et à mesure. Rendre compte d'un état des lieux, d'un mode de vie, d'une résistance. Montrer les survivants. Ces humains qui pratiquent l'art de survivre. Ceux qui sont en marge d'un système établi pour s'en créer un autre. Qu'ils soient punks, anarchistes, junkies, sans abris.. ou tout ça à la fois. Sans jugement, mais avec une mise en scène souvent très réfléchie, Lech Kowalski filme ces gens qui sont la trace et la mémoire de cette contre-culture, de ce refus du conformisme, mais aussi des problèmes qui y sont inévitablement reliés. Ses films sont en ce sens de véritables documents ethnographiques. Par ces images, il montre aussi les transformations majeures des lieux. Le Lower East Side de New York et sont Alphabet City (avenue A-B-C-D) n’est assurément plus ce qu’il a été durant le tournage de Story of a junkie (1983-1984). Le passage du temps dans un lieu nous montre aussi l'arrivée massive de la drogue dans le quartier et toute l'infrastructure et le système interne qui se crée alors avec les habitants. 

Rock Soup

Kowalski démontre aussi avec Rock Soup (1991) le constat d'un Lower East Side (Tompkins Square Park dans Alphabet City) beaucoup changé mais qui conserve les mêmes problèmes, seulement cachés différemment (on ne squatte plus les immeubles abandonnés d'Alphabet City dans Rock Soup puisque le quartier est devenu huppé et que ces mêmes immeubles sont maintenant transformés et loués à des personnes aisées financièrement). Cette transformation des lieux et les traces qu'elle laisse, cet art de survivre, Kowalski les filmera encore dans ses films suivants (Born to lose, On Hitler's Highway, Boot Factory, etc.) pour finalement créer le site web vidéo Camera War (camerawar.tv) et se lancer plus à fond dans le cinéma engagé.

Lech Kowalski sur le tournage de Story of a junkie

Pour cette émission nous nous sommes concentré sur sa première période cinématographique (D.O.A., Story of a junkie, Born to lose, Rock Soup), dans laquelle Kowalski trace une trajectoire de ces survivants qui vivent autour de lui autant qu’autour de nous (les punks, les sans-abris, les junkies) en faisant des portraits sans compromis, parfois durs, mais toujours dans le respect et l’affection la plus totale. 

-David Fortin

lundi 25 novembre 2013

Notre émission du 21 novembre 2013 : THE SHOUT de Jerzy Skolimowski (1978)

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The Shout s’inscrit dans un sous-genre du cinéma d’horreur (essentiellement britannique) nommé « Folk-Horror », genre qui intègre des éléments folkloriques de tradition païenne (majoritairement européenne mais dans ce cas-ci australienne), des éléments occultes et des rituels. On retrouve dans ce sous-genre des films tel The Wicker Man (1973), Blood on Satan's Claw (1971) ou The Last Wave (1977) pour n’en nommer que quelques-uns. The Shout est donc un film d’une grande charge occulte dans lequel on retrouve beaucoup de mysticisme. C’est le récit d’un étranger, Charles Crossley (Alan Bates), qui vient s’immiscer dans la vie d’un couple (John Hurt et Susannah York) en contrôlant ses hôtes à l’aide d’objets et de rituels mais surtout par sa force de persuasion, pour éventuellement prendre possession de la femme. L’histoire est racontée par l’étranger qui se trouve alors dans un hôpital psychiatrique juste après que la première question du film soit évoquée: qu’est-ce que la normalité. En débutant le récit fait par l’étranger, le film démontre un lent fondu-enchaîné de l’image du personnage racontant le récit avec celle du même personnage marchant dans les dunes (donc en surimpression dans sa propre tête) vers le couple à dominer qui se réveillera alors d’un étrange rêve (ils rêvent tous deux à cet homme marchant dans les dunes en arborant un os à pointer magique). Par le récit de son histoire, Crossley simmisce déjà dans leur tête et le cinéaste Jerzy Skolimowski annonce déjà les couleurs et motifs cycliques du film.
Crossley raconte Crossley
Artiste multi-disciplinaire (il est aussi poète, peintre, dramaturge, acteur), Jerzy Skolimowski a été avant son exil un cinéaste important de la nouvelle vague polonaise des années 1960. Sa façon d’écrire sa poésie ainsi que son affection pour la musique jazz viennent beaucoup se refléter dans sa façon de construire un film, particulièrement The Shout. La réalisation syncopée de Skolimowski, tout en rupture de ton et de rythme, provoque une déstabilisation chez le spectateur et reflète constamment l’état des personnages, leur prise avec le réel, puis éventuellement leur perte de contrôle. La réalisation du film étant souvent admirée et jugée très méticuleuse, il dira dans une entrevue que le tournage a été fait de façon très instinctive dans un certain chaos (changements de dernière minute dans les dialogues ou les scènes, improvisation d’ajouts dans le décor selon ce qui lui tombe sous la main, inspiration du moment). Tourné en 34 jours dans une région de l’Angleterre par un réalisateur qui s’exprimait alors mal en anglais, Skolimowski aura su s’entourer d’une équipe très compétente pouvant rendre sa vision possible (des acteurs sachant improviser, deux membre du groupe Genesis pour faire la musique, un directeur photo qui sait tirer le naturaliste voulu, un des meilleurs mixeur sonore pour expérimenter avec le son Dolby Stéréo (dont le film est un des premiers à utiliser), etc.). Le travail sonore du film est d’ailleurs exemplaire et ne sera apprécié à sa juste valeur qu’avec une projection en salle (le film se faisant très rare, n’hésitons pas à suggérer à la Cinémathèque québécoise de récidiver ce qu’elle a fait en 2010 avec la projection de sa copie 35mm).

expérimentations sonores d'Anthony
Skolimowski utilise de nombreux procédés sonores et visuels dans son montage pour exprimer l’idée de répétition, créer un rappel pour le spectateur, puis au final  déstabiliser. Tout dans le film est un cycle, une boucle, une répétition, à l’intérieur du film tout autant que le film lui-même (qui se termine par la scène d’ouverture). Les objets, les motifs et les actions se répètent, se répondent ou s’opposent. Lorsque le personnage de Charles Crossley s’introduit pour la première fois dans la maison, le cadrage du plan nous laisse découvrir une abeille décorative suspendue juste au dessus de sa tête. Il dit alors : « I must admit I invited myself ». Crossley s’impose au couple. Le plan suivant Crossley s’approchera de la fenêtre pour écraser une abeille qui parcourait la vitre tout en disant « Has the human a soul? And if he does, where does he keep it? ». Crossley établit son but dès le départ. Anthony va plus tard emprisoner une abeille pour en enregistrer le son (une tentative inconsciente de domination sur l’autre?). Crossley et Anthony auront donc un rapport de force tout au long du film. Ce n’est qu’un exemple des motifs de répétitions et d’oppositions que le film comprend. On pourrait élaborer sur l’importance de l’image du soulier (la boucle de la sandale de Rachel volée par Crossley comme objet de pouvoir, le cordonnier, le soulier qui servira à détruire la roche contenant l’âme de Crossley, etc.) ou le miroir (qui apparaît trois fois dans le film : au départ pour montrer le couple, une deuxième fois pour montrer Crossley, puis une troisième fois démontrant les trois). Une quantité énorme d’objets et de motifs viennent se répéter et signifier le film. 

Anthony trouve la pierre de l'âme de Crossley
Crossley, personnage déterminé, sera en position de domination sur Anthony, personnage plutôt torturé et effacé. Ces deux forces contraires s’opposent mais aussi se complètent et c’est peut-être ainsi qu’on peut voir ces deux personnages dans le film. Une complémentarité d’un seul et même être, d’une seule et même force. Tous deux ont une certaine maîtrise du son (de façon technique pour Anthony et de façon naturelle pour Crossley). Anthony est à la recherche d’une certaine vérité à travers ces expérimentations sonores. Tous ses enregistrements de sons naturels reflètent sa quête vers quelque chose de plus grand que lui. Il s’inspire en posant dans son studio des images qui lui parlent. Plus précisément des reproductions de peintures de Francis Bacon. C’est comme si Anthony invoquait quelque chose avec ses rituels sonores accompagnés d’iconographies. Son studio devient alors un véritable autel qu’il utilise pour faire ses incantations sonores. Crossley incarne donc cette autre qu’il invoque. Cet autre version de lui-même. Ce versant imposant plein de déterminisme qui est capable de prendre sa femme comme Anthony ne sait plus le faire (on comprendra l’état de la relation du couple avec la relation adultère qu’Anthony entretient avec une autre femme du village).

Crossley démontre qu'il maîtrise aussi le son
Les différentes images des peintures de Francis Bacon sont montrées à des moments précis dans le film pour annoncer les deux moments déterminants à venir pour Anthony. La première image est celle d’une personne à quarte pattes qui annonce la domination de Crossley sur Rachel, la femme d’Anthony (que l’on verra dans cette même position le temps d’un plan durant une scène amenant celle-ci à se laisser posséder par Crossley). La deuxième image sera celle d’un visage torturé criant qui annonce la scène du cri que Crossley démontrera à Anthony suite à la demande de ce dernier. La troisième fois qu’on verra Anthony dans son studio d’enregistrement sera aussi une autre invocation pour Crossley. Suite au départ de Crossley qui vient de posséder sexuellement la femme d’Anthony, ce dernier cours à son studio et essaie de reproduire le fameux cri de ce dernier. Le plan suivant nous montre Rachel assise dans la cuisine, suivi d’un oiseau qui entre par la fenêtre pour disparaître du plan, puis Crossley apparaît en s’approchant d’elle par dernière. Anthony aura une fois de plus appelé son double, parce qu’il ne peut finalement fonctionner qu’avec lui. Anthony trouvera ultimement le lien entre les roches et les âmes (Crossley raconte à Anthony au début de leur rencontre : « the soul sometimes must take refuge in a tree or a stone ») puis cassera en quatre morceaux la roche contenant l’âme de Crossley (Au début du film un docteur de l’hopital psychiatrique raconte au personnage de Graves que Crossley croit avoir l’âme déchirée en quatre).

Les peintures de Francis Bacon annoncent les évènements
Le film se termine dans un chaos total à l'intérieur de la cour de l’hôpital psychiatrique où la nature se déchaîne et Crossley utilise alors une ultime fois son cri (ou est-ce le cri extra-diégétique à la fin du récit de Crossley qui créer le chaos autour de celui qui le récite). L’histoire elle-même venant d’un fou (mais l’est-il vraiment), nous pouvons douter de tout ce qui y est dit et choisir ce que l’on veut vraiment y voir. On pourrait d’ailleurs continuer longtemps à tisser des liens entre les scènes et en sortir des signifiants tellement le film de Skolimowski est une mine d’or pour tout amateur de sémiotique et un abyme de possibilités d’analyses filmiques. Avant de raconter son histoire au début du film, le personnage de Crossley dit qu’il aime en changer l’ordre des évènements, le climat et même les personnages chaque fois qu’il la raconte afin de garder l’histoire vivante. Les 60 minutes de l’émission nous donnent l’occasion d’en faire un parcours, mais à l’image de cette introduction que Crossley fait au récit, de nombreux autres visionnements et émisions sur The Shout pourraient se faire avant de percevoir toutes les possibilités qu’offre un film aussi riche.

-David Fortin

The Death Shout




vendredi 1 novembre 2013

Notre émission du 24 octobre: HAUSU de Nobuhiko Obayashi - Quand l'expérimentation mène au succès

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Cette semaine au 7e Antiquaire on vous parle du film japonais HAUSU (1977)... et il fallait que ça arrive!

Entre le film expérimental et commercial, le soap-kitsh et l'inquiétante étrangeté, la comédie et l'horreur, un film inclassable qu'il faut voir pour le croire.

Le film le plus proche duquel on pourrait le comparer serait Evil Dead 2 de Sam Raimi, venu bien après. Ils partagent tout deux un enthousiasme similaire: l’idée de vouloir à tout prix expérimenter toutes les techniques possibles, de bricoler des effets spéciaux, de faire de l’épouvante grand-guignolesque avec un gros sourire aux lèvres (quitte à pouffer de rire régulièrement). 


Totalement hyperactif, le rythme du montage avec ses nombreux jump-cuts rend par moment le déroulement de l’action à la limite de l'incompréhensible. S’inscrivant dans la tradition du film « bakeneko » (film dans lequel un chat-fantôme aux pouvoirs surnaturels hante une maison), le film détonne par son ton et son emballage très pop. Ce contraste décalé au traditionnel Bakeneko donne l’impression d’une culture américaine qui s'immisce insidieusement dans les sensibilités nipponnes. Mélangeant autant les genres, les thématiques et les techniques, la forme devient ici partie intégrante de la narration.

HAUSU est le premier film japonais à avoir expérimenté (et brisé plusieurs conventions) dans une multitude de domaine; utilisation des effets spéciaux vidéo, fait par un réalisateur écartelé entre l'expérimental et la publicité, utilisation d'un titre en katakana (servant à écrire les mots d'origine étrangère).. et probablement aussi le premier film à être co-écrit par une enfant de 10 ans. 

Voyons d’un peu plus près ce qui a amené la naissance d’un tel film.
  
Nobuhiko Obayashi opère une caméra pour la première fois à l'âge de 8 ans (celle de son père), mais c'est vraiment à l'Université qu'il fera ses premières expérimentations importantes avec la pellicule 8mm et 16mm. Certains de ses films seront distribués par l'Art Theatre Guild, compagnie importante au Japon pour la production et la distribution des films d'avant-garde japonais durant les années 1960. C'est avec son film Émotion (1966), un moyen métrage de 40 minutes, qu'il se fera remarquer. Utilisant de façon exemplaire de multiples techniques cinématographiques, ce film sera régulièrement projeté dans les universités et lui donnera l’opportunité de se faire engager par la Dentsu pour réaliser des spots publicitaires. Il se fera rapidement un nom dans le domaine de la publicité avec ses clips dans lesquels non seulement il expérimente encore de nombreuses techniques mais y met aussi en scène plusieurs vedettes occidentales de cinéma tel Charles Bronson, Sophia Loren, Catherine Deneuve, etc. 

 
Le tout attire l’attention de la compagnie Toho qui cherche justement quelqu’un de jeune, différent et connecté sur la nouvelle génération pour reproduire « l’effet Jaws » qui vient de sortir et bat tous les records au box-office américain.


La Toho veut donc son blockbuster japonais et c’est vers Obayashi qu’elle se tourne pour lui commander un projet de scénario. Obayashi accepte et se tourne lui-même vers sa fille de 10 ans pour lui demander conseil sur ce qui pourrait plaire au jeune public japonais. C’est donc sa fille qui  lui donnera en vrac toutes les idées de scènes pour ce qui deviendra Hausu. Une tête coupée sortant d’un puits qui va mordre les fesses d’une pauvre victime, un chat qui vomit du sang jusqu’à en remplir une maison, une attaque de meubles (futon, miroir, commode) sur des jeunes filles en détresse, sans oublier la célèbre scène du piano qui dévore la pianiste. Tout ce que l’imagination d’un enfant de 10 ans peut produire se retrouve donc sur papier et Obayashi donne les idées en vrac à son scénariste pour qu’ils arrivent à ficeler le tout et en faire un long métrage.




La Toho donne le feu vert dès qu’elle touche au scénario mais le film ne trouve aucun réalisateur et ne peut être réalisé par Obayashi lui-même (n’étant pas un réalisateur officiel de la Toho). Obayashi se lancera donc dans une campagne publicitaire pour le film qui fera un effet boule de neige et produira un manga, un radio-feuilleton, un roman, une trame sonore, tout ça avant même que le film soit en production. Deux ans et 200 spots publicitaires plus tard, la Toho accepte qu’Obayashi réalise le film, ce qui créera un précédent dans l’industrie cinématographique japonaise qui fonctionne depuis toujours avec le système d’ancienneté. À sa sortie, le film sera un succès spontané auprès du jeune public, bien que descendu entièrement par la critique. Ce qui n’empêchera pas le cinéaste de continuer à réaliser des films régulièrement pour différentes compagnies ainsi que pour la télévision. Il faudra cependant plusieurs années avant qu’Hausu reçoive tout le mérite qui lui est dû.


 Beaucoup de réalisateurs japonais des années 1990 donneront ce film en exemple comme influence sur leur carrière jusqu’à ce qu’en 2009 il se mérite une ressortie à l’extérieur du Japon. Il se fait ainsi découvrir par le public étranger dans plusieurs festivals en Amérique et en Europe. En 2010 la compagnie américaine Criterion ainsi qu’Eureka au Royaume-Uni en font une très belle édition dvd permettant dorénavant à tous de redécouvrir ce film unique. 

-DAVID FORTIN



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