mardi 18 octobre 2011

FNC '11: Critique de SHAME-Vérités ou conséquences

(Cette critique est originellement parue dans Baron Magazine).
Le premier film de McQueen, HUNGER, montrait avec une approche quasi clinique l’atomisation d’un membre de L’IRA incarcéré qui menait une grève de la faim. Le spectateur voyait son interprète principal, Michael Fassbender, disparaitre graduellement à vue d’œil. L’acteur avait pratiquement accepté de se laisser mourir. Le corps de Fassbender devenait en quelque sorte le paysage aride du film, arpenté dans ses moindres anfractuosités.
Le premier truc que j’ai fait en terminant le premier film de McQueen, c’est de manger avec révérence la première chose comestible qui me tombait sous la main. Une brioche aux petits fruits pour être exact, forcément une des meilleures de toute ma vie. J’ai ensuite attendu patiemment le deuxième film de McQueen.

Avec SHAME, McQueen retrouve Fassbender pour nous montrer le quotidien d’un homme qui souffre de dépendance sexuelle.
En terminant le film, j’ai constaté que je l’avais regardé dans un véritable état de dédoublement. Le cinéphile et l’obsédé sexuel l’ont vu en même temps, mais ils ne l’ont pas vécu de la même manière. Je les laisse donc alternativement s’exprimer.

Le cinéphile :

Brandon travaille dans une compagnie anonyme au cœur de New-york. Il a des fringues d’enfer, un corps superbe et une bitte aussi imposante que sa bourse. Il pourrait sortir tout droit d’un roman de Bret Easton Ellis, une sorte de lointain cousin des Bateman. Brandon est incapable de connecter aux gens parce qu’il est dépendant sexuel. Toute sa vie est organisée en fonction de ses appétits. Le tableau est large : séduction constante et chevronnée, multiples relations sexuelles par jour, masturbations compulsives et consommation outrancière de pornos. Rien ne semble remplir le vide qui l’habite. Une réalité qu’il devra affronter quand sa sœur, une envahissante hystérique assoiffée d’amour, vient s’installer chez lui. Avec en prime, un généreux side order d’ambigüité…
Là où McQueen nous montrait l’atomisation physique de Fassbender dans HUNGER, il nous montre celle de son cœur dans SHAME. Au sommet de son talent et de sa beauté, absolument bouleversant, Fassbender est filmé dans tous les détails de son obsession; son regard de prédateur affamé, ses larmes, ses grimaces de jouissances, la dureté de son corps et de ses gestes. La musique d’Harry Escott souligne avec emphase la mélancolie de ses ébats qui ne lui apporteront jamais satiété. Avec HUNGER, SHAME forme un dyptique informel sur la vacuité et la nature de l’appétit. Espérons une trilogie, parce que McQueen est un formaliste fascinant.
Avec LAURENTIE, présenté au festival cette année, deux films traitent sensiblement le même sujet avec une approche similaire; le vide idéologique et existentiel d’une certaine génération, montré frontalement et organiquement. 
 L’obsédé:

Oh la honte. SHAME m’a confirmé que je suis un obsédé sexuel. Vous l’êtes probablement aussi. Disons le bien franchement, je ne doute pas qu’il y a en ce bas monde des gens qui souffrent profondément de cette dépendance et je ne la ridiculise pas. Impossible cependant de croire au drame de Brandon, malgré le jeu magistral de Fassbender. La totalité des gestes qu’il pose dans le film, je les ai posé un nombre incalculable de fois. J’en ai assumé les conséquences. Une quantité raisonnable d’hommes font de même. Mon quotidien est façonné en permanence par les exigences de mes instincts, de la masturbation récurrente au boulot jusqu’aux baises urgentes devant les passants. Si si. C’est un enfer bien douillet que semble vivre Brandon. Impossible de ne pas sourire devant ces scènes où il pleurniche sur des envolées de piano en faisant du triolisme. La souffrance du mâle alpha blanc des États-unis est une chose assez drôle à voir, avec ou sans ironie de la part de réalisateur (rappelons que Steve McQueen est afro-américain). Si le protagoniste avait été dodu, moche et vaguement inquiétant, le tout aurait pris une dimension autrement plus convaincante. Or, en filmant de façon si inspirée la tension érotique qui habite Brandon, avec cette attention aux détails, à son corps magnifique et au plaisir évident de ses jouissances, McQueen ne parvient pas à inciter la moindre sympathie pour la condition de son personnage. Par contre, il est parvenu à exciter pas mal de monde dans la salle et je me suis fais un plaisir à observer la chose. Si on voulait me servir une bonne leçon, elle a eu l’effet d’une fessée invitante. 

Je le dis sans honte; SHAME est terriblement excitant. Beaucoup même…tellement que le premier truc que j’ai fait le générique à peine terminé, c’est de me satisfaire dans les toilettes du cinéma. 

-Francis Ouellette


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