dimanche 23 octobre 2011

FNC '11: Critique de HORS SATAN-Le cinéma sera mon église

(Cette critique est précédemment parue dans Le Baron Mag ici même)
Il pleuvait des torrents le jour où j'ai vu HORS SATAN au FNC. Une pluie lourde froide.. Je me rendais à vélo au cinéma quand elle m'est tombée dessus sans crier gare; 20 secondes et mes pieds baigneaient dans le petit marécage de mes godasses. J'ai froid, j'ai faim, je suis maussade et je m'en vais voir un Bruno Dumont. C'est parfait. Fuck la 3-D: nothing is better than the real thing.

J'entre dans la salle de cinéma. La climatisation est si forte que le froid me rentre instantanément dans les pores. La salle est sombre et je n'y vois absolument rien. L'obscurité a duré quelques interminables secondes. Un pote m'avait gardé un siège mais je ne le voyais pas. Je suis resté debout, immobile, jusqu'à ce que mon ami apparu de nulle part vienne me chercher et me guider vers mon siège. Again: nothing is better than the real thing.

La réalisatrice Catherine Martin est derrière moi. Je me rappelle en la voyant que son MARIAGES est un de mes films québécois préféré. Je me souviens de quelques scènes de ce film et je me dis à ce moment là que Dumont doit avoir eu une certaine influence sur elle. Je ne veux pas la déranger et je dispose mes vêtements dégoulinants autour de moi en silence. Je la regarde furtivement. Catherine Martin a des yeux noirs et percants, je trouve. Je m'affale dans mon siège. L'eau froide et poisseuse me cole au corps. Mon ami me tend une barre tendre. Je le remercie en grellotant.

Le film commence. À l'écran, il pleut des torrents. Premier plan du film: sous cette pluie, une porte anonyme s'ouvre et une main tend un sandwich à une autre main. Quelques secondes seulement et je vis mon expérience de cinéma la plus viscérale de l'année. J'admet sans broncher que j'ai un penchant ésotérique et à ce moment précis, j'embrassai avec reconnaissance la conjugaison de ma réalité et de celle du film. HORS SATAN m'a déjà possédé.

Je n'ai pas la moindre idée de quoi parle le film de Dumont, si ce n'est du texte magnifique d'Helen Faradji dans le programme du FNC. J'imagine un peu de quoi il en retournera. J'ai vu ces autres films. Comme toujours devant un Dumont, je somnole un peu au tout début. Ca ne me dérange pas outre mesure et pour moi, ca fait partie de l'expérience. De toute manière, je retrouve souvent les personnages au même endroit où je les avais laissés.

Il y deux personnages à l'écran. Une jeune femme à la peau blanche et au regard triste et un homme, fascinant. Son visage est assymétrique, avec une arcade souricillière qui dévie. Il a des yeux clairs et des dents de lièvre.

Jadis, je faisais des run de truck pour distribuer des denrées alimentaires à des groupes communautaires une fois par semaine. L'homme avec qui je faisais ces runs lui ressemblait beaucoup. Un gars de peu de mot toujours sur la go avec un regard profond. Il avait la maladie de Crohn et sentait la clope et la sueur. J'aimais bien cet homme qui distribuait de la nourriture aux gens sans se faire payer. Mes silences de plusieurs heures avec lui dans son pick-up me plaisait beaucoup. Des fois, on grignotait une tranche de pain aux raisins grapillée dans l'entrepot. Il s'appelait Daniel. Je le trouvais beau et je n'ai jamais eu la moindre idée de ce qui se passait en lui.

Le personnage masculin de HORS SATAN me faisait penser à Daniel. On ne sait d'où il vient et pourquoi il s'installe dans le village sur la côte. Il est de passage, c'est tout. II est comme le Survenant, comme Zatoichi, comme l'incroyable Hulk dans la série télé, comme le Vagabond (le célèbre chien y fait d'ailleurs une apparition remarquée dans une scène de crossover) . C'est un quéteux. Il erre. Il dort dehors. Se réchauffe en se faisant des petits feux.

Une relation se forme entre lui et la jeune fille. Un amour platonique, où ils marchent en silence, se parlent peu.



Mes vêtements sèchent doucement. Je me réchauffe. Je regarde cette homme de passage et son étrange visage. Je regarde comment Dumont arrive à extirper le sacré de cet individu qui n'est pas un acteur. Je pense à Daniel et à nos runs de trucks silencieuses. Je pense à cette citation de Maitre Eckart: On peut concevoir la chaleur sans le feu et la lumière sans le soleil, mais on ne peut concevoir Dieu sans l'âme ni l'âme sans Dieu, tant ils sont un.

Je termine HORS SATAN. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir écrire sur ce film? Je pense à deux phrases, que je griffone sur un calepin encore humide.

"Dumont a fait un miracle" et "le cinéma est mon église"


-FRANCIS OUELLETTE






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