Quelques jours pour décanter la massive surdose de stimulis offerte par le FNC cette année, exceptionnelle à bien des égards. Sur mes 16 films visionnés, le 7ème n'aura pu pondre que 6 critiques, dont 4 s'adressent aux plus importants films découverts au Festival: SHAME de Steve McQueen, LOS ULTIMOS CRISTEROS de Matias Meyer, HORS SATAN de Bruno Dumont et GUILTY OF ROMANCE de Sion Sono (cliquer sur les liens pour lire les critiques).
Un dernier survol des autres grandes découvertes avant de quitter...
VOLCANO de Runar Runarsson- La mémoire et la mer
Pas surprenant que ce film remporte la Louve d'or du FNC. L'éventail d'émotions riches et contradictoires qu'il est capable de générer évoque sans peine les grands Bergman et Kurosawa. On est bel et bien dans les mêmes eaux que celles de FRAISES SAUVAGES et de IKIRU.
Hannes est un islandais renfrogné et cynique qui commence les premiers jours de sa retraite. Ses liens avec sa famille sont tendus et ses journées sont ennuyantes. Entre son vieux bateau, sa clope occasionelle et sa pauvre femme qui ne sait plus comment le prendre, Hannes ne sait pas trop à quoi ressemblera le reste de sa vie. Alors que son coeur commence à peine à se réveiller à la vie, celui de son épouse s'arrête quelques secondes. Elle restera paralysée. Hannes considère qu'il est de son devoir de s'occuper d'elle à la maison, ne serait-ce que pour s'amender de plusieurs années de mauvais traitement. Mais sa famille ne le voit pas du même oeil...
Quand il est question de larmes et de serrements de coeur,en ce qui me concerne, les Scandinaves n'ont pas leur pareil. Il faut que je fasse le jeu de mot; VOLCANO est un film sur l'éruption, celles que l'on contient en soi et qui détruisent. Ces éruptions de vie et de bonté aussi, qui nous prennent parfois -dont un morceau d'anthologie vu dans le film, une inoubliable scène d'amour entre Hannes et son épouse. Une des grandes forces du film, c'est évidemment son interprète principal, Theodor Juliusson. Avec son physique de viking bourru et sa mine patibulaire, Juliusson semble toujours sur le point d'exploser. Il pourrait avoir ces mots de Beckett tatoués sur les biceps "Mes meilleures années sont peut-être derrière moi... mais je ne veux pas revenir en arrière. Pas avec le feu qui brûle en moi maintenant." Rien de plus troublant que de voir ce vieux guerrier apprendre douloureusement la tendresse auprès de sa femme catatonique (d'emblée lorsque cette femme est le sosie vivant de Janette Bertrand). Dans VOLCANO, il y a la grande mélancolie d'une vie qu'il a fallu laisser derrière, un quotidien aux larges des îles qu'il a fallu abandonné et un homme qui doit réapprendre à vivre en se rapprochant de la mort.
En regardant VOLCANO, j'entendais des passages LA MÉMOIRE ET LA MER de Leo Ferré, dont le film de RUNARSSON est le lointain cousin; Reviens fille verte des fjords, reviens violon des violonades, dans le port fanfarent les cors, pour le retour des camarades...
Je lance tout de suite la supposition dans l'éther; VOLCANO sera retenu aux Oscars et si c'est le cas, il gagnera.
TAKE SHELTER de Jeff Nichols- La dernière tentation de Curtis
Une famille américaine tout ce qu'il y a de plus classique. Le père, Curtis est ouvrier, la mère est femme au foyer, leur petite fille est mignonne et sourde. Ils vont à l'église le dimanche et mangent du pain de viande. Une véritable crèche de sapin de Noel, style americana. Depuis quelques temps, Curtis s'inquiète de phénomènes atmosphériques qui lui semblent anormaux. Pluies gluantes et brunes, étranges formations de nuages et comportement erratique des oiseaux. Curtis s'inquiète pour sa famille; même ses rêves sont maintenant traversés d'inquiétantes visions. Sa famille s'inquiète pour lui; il est le seul à voir ces phénomènes. Et quand Curtis se met à construire fiévreusement un abri contre une catastrophe qui n'est imminente que pour lui, sa vie change drastiquement..
Deux lignes qui reviennent souvent à propos de TAKE SHELTER, c'est qu'il emprunte à Malick et que Michael Shannon est le nouveau Christopher Walken.
Pour ma part, tant qu'à grapiller dans les hautes sphères de la référence, TAKE SHELTER est un drame psychologique à ranger entre deux de mes films préférés, JACOB'S LADDER et THE LAST WAVE. Du premier, il partage les angoisses existentielles, la paranoia et le sous-texte gnostique. On y trouve aussi un comédien immense jouant un personnage en chute libre et incertain de ses propres visions. TAKE SHELTER devient un peu le pendant champêtre de JACOB'S LADDER oû le protagoniste ne cherche pas le salut de son âme, mais la survie de sa famille .
De LAST WAVE, il partage l'ambiance, les visions apocalyptiques et un rythme allant en crescendo vers l'inéluctable révélation qui n'est pas celle que l'on croit..
Au delà des références, TAKE SHELTER reste un drame psychologique d'une efficacité troublante.. Est-ce que Curtis est fou ou est-il un prophète? La réponse à cette question devient vite accessoire. Qu'il soit un chamane sensible aux changements de la terre ou un schizophrène, Curtis souffre profondément de ces visions et perd tranquillement la confiance de ses proches. Là est le drame. Il est familial et la famille, c'est évidemment les États-unis au grand complet, avec ses angoisses des dernières décennies. TAKE SHELTER n'est cependant pas du tout un film apocalyptique. Et oui, Shanon rappelle les belles années de Walken, mais son registre de jeu est infiniment plus diversifié.
SNOWTOWN de Justin Kurzel- GUMMO 2: goin' down under!
Jeff Nichols a réussi à faire un classique instantané, un film qui aurait pu se faire à n'importe qu'elle époque sans qu'on y apporte le moindre changement. Un phénomène en soi; c'est son deuxième film. Mais c'est aussi sa deuxième collaboration avec un acteur trop peu célébré et en voie de connaître sa consécration. Michael Shannon retrouve ici ce registre de jeu tout en folie et en vulnérabilité qui l'a fait remarquer dans le BUG de Friedkin (rappelons que Shannon avait précédemment interprété ce personnage plusieurs fois au théatre). Sans aucun cabotinage, Shannon incarne l'angoisse de son personnage en lui conférant des dimensions sartriennes.
Nichols a déjà la trempe d'un auteur. C'est son prochain film avec Shannon, intitulé MUD, qui nous confirmera s'il l'est ou pas.
PLAY de Ruben Östlund- Funny games! pour les 8 à 15 ans
Avec des plans-séquences évoquant souvent de simples caméras de surveillance, Ostlund nous fait suivre un petit gang de jeunes immigrants africains qui s'adonnent avec une inventivité hors du commun au taxage de jeunes bourgeois. Il n'est pas seulement question pour la bande de dépouiller leurs victimes, mais d'exercer sur elles un niveau de domination psychologique et de manipulation digne des plus grands arnaqueurs. Pour eux, c'est un simple jeu. Un jeu qu'ils pousseront au paroxysme en choisissant parcimonieusement trois jeunes victimes qu'ils dépouilleront de tout, vêtement, argent et amour propre. Le tout avec une caméra qui ne recule devant aucune proximité, renchérissant la tension et l'inconfort.
Il n'y a pas vraiment de violence physique dans PLAY. C'est à un niveau autrement plus insidieux que la cruauté se joue. L'intelligence des jeunes de la bande est grande et leur mesquinerie, née d'une relative indifférence, l'est tout autant. En l'espace d'une journée, ils soumettront les jeunes garcons à une série d'humiliations plus inventives les unes que les autres. Les adultes sont évidemment absents et quand ils y sont, ils ont eux aussi peur de la jeune bande. Haneke qui réalise un épisode de Charlie Brown.
Les victimes de bullying auront sérieusement froid dans le dos en regardant PLAY. Ces derniers se retrouveront lancés à nouveau dans ces jeux de pouvoirs dont les subtilités semblent échapper cruellement à certains parents. L'ordre de préséance montrée sans fard, à hauteur de jeune homme
En parallèle, Ostlund nous montre sa vision d'une Suède contemporaine en redéfinition; une scène oû des latinos déguisés en iroquois font du World beat sur un coin de rue consolide dans son absurdité ce sentiment de perte de repère. Il prend aussi quelques risques en ne se complaisant pas à peindre des jeunes immigrants qui souffrent de pauvreté et en démontrant les mécanismes pervers de l'instrumentalisation du racisme.
Bien au delà de tout désir de commentaire social, PLAY est un suspense naturaliste qui dérange grandement, servi par de jeunes comédiens tout à fait crédible. Une découverte de taille
SNOWTOWN de Justin Kurzel- GUMMO 2: goin' down under!
La grande qualité de SNOWTOWN, c'est d'être candide tout en gardant son sens indéfectible de la fumisterie. Accessoirement, le film nous raconte l'histoire d'une famille australienne défavorisée vue à travers le regard d'un des fils, Jamie. Pour échapper à sa vie merdique, il se lie d'amitié avec John, un individu charismatique qui intégrera rapidement sa famille. Ça tombe plutôt mal, l'individu est John Bunting, aujourd'hui le plus tristement médiatisé des tueurs en série d'Australie. Jamie découvre rapidement que John n'est pas le papa dont il avait besoin...ou peut-être que si justement, ce qui est bien pire.
La première heure de SNOWTOWN est hilarante bien malgré elle : le réalisateur s'acharne avec une diligence déroutante à copier tous les grands plans de GUMMO, le film d'Harmony Korine, à quelques inflexions près...mais avec un sérieux qui frôle le pompeux. Je ne parle pas de quelques emprunts prétextant l'hommage mais bel et bien de la totale, the whole shebang, le rip-off de long en large. Tout y est: photo jaune-pisse, acteurs avec des gueules de consanguins et freaks de grand chemin, la cuisine en contre-plaqué, les engueulages familiales inconfortables, les goons qui se tiraillent et même les repas dégoutants de spaghettis mastiqués en stéréo. On a même remplacé les scènes de trituration de cadavres de chats par des kangourous. La totale je vous dis!
Jusque là, l'idée de voir un GUMMO 2 en Australie me plaisait plutôtt bien. Le problème, c'est que Kurzel est occupé à donner à son film des airs de WAR ZONE, le film de Tim Roth. Qu'est-ce qui manquait à GUMMO selon lui? Un Ray Winstone. Un personnage charismatique et inquiétant qui se révèle être un monstre. Ray Winstone joue toujours les figures paternelles déviantes dans ces étouffants drames sociaux anglais. Trouvez moi tout de suite un Ray Winstone! Le rôle du tueur Bunting sera donc tenu par Daniel Henshall (seul point fort du film, du vrai gaspillage), sorte de Ray Winstone océanique.
Exit GUMMO. La deuxième heure, Kurzel fait du pilote automatique en pastichant maintenant HENRY:PORTRAIT OF A SERIAL KILLER...avec le même sérieux débonnaire dans l'appropriation. Tout y sera, même la scène réglementaire d'étranglement trop longue. SNOWTOWN est un de ces produits bâtards et amorphes qui se cachent derrière de vagues justifications conceptuelles, en prônant à fond la carte du post-modernisme. Ce qui est miraculeux, c'est qu'il arrive à plaire à quelques cinéphiles, malgré sa vacuité presque totale.
Plusieurs personnes quittaient pendant le film. Ce fut le cas aussi à Cannes, dit-on. Les producteurs pourront crier à qui veut bien l'entendre que le film est trop choquant pour certaine personne. Alors qu'en réalité, les gens quittaient parce que SNOWTOWN est aussi captivant qu'une tempête de neige dans l'écran et aussi pertinent que le son de l'écho.
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