jeudi 3 septembre 2009

The Exorcist: la version que vous n'avez jamais vue---une analyse vaudouique

Il est bon de voir un film à outrance. On fini par être tellement familier avec ses mécanismes que l'esprit  voulant échafauder  des perspectives nouvelles de l'œuvre en élabore de surprenantes, comme si le film attendait patiemment le dévoilement de certains secrets. Occasionnellement,  ces découvertes se font en changeant très subrepticement sa parallaxe, sa lentille de perception culturelle, révélant le film qui a échappé à ses créateurs et qui semble exister en soi. En quelque sorte, c'est l'essence fondamentale du film qui est mis à jour, les idées profondément souterraines et séculaires qui le traversent. Un exemple: ce texte que je vous ai déjà recommandez sur The Shining, absolument vertigineux, qui analyse comment la "mécanique géographique" du film de Kubrick est savamment calculée pour générer l'inconfort chez l'auditeur en déstabilisant sa perception de l'espace physique, à l'instar de L'année dernière à Marienbad (un film d'horreur absolu). Depuis la lecture de ce texte, Shining est devenu pour moi le vecteur d'une nouvelle forme de terreur, bien occulte celle-là. Peut-être est ce là l'oeuvre d'un franc-maçon qui a poussé l'architecture d'un film dans un nouveau retranchement. Bref, ce texte est la raison pour laquelle nous ne ferons jamais une émission sur Shining. Nous n'aurions rien de plus pertinent à offrir.

Depuis quelques années, un peu veulement, je cogite à une idée alternative du film de Friedkin, le séminal The Exorcist. Cette nouvelle perspective m'est venue par le biais d'une fascination dévorante pour le Vaudou. En me familiarisant avec les idéologies de ce système philosophique, je me suis retrouvé insidieusement déconditionné de certain réflexes judéo-chrétiens, bien engoncés là où le soleil ne brille pas (je suis un fier apostasié depuis 2005). Suite à notre émission de cette semaine sur le Vaudou au cinéma, l'idée s'est peaufinée. Revoir The Exorcist avec une parallaxe de vaudouisant change le film d'une manière si drastique que tous ses enjeux, toutes les notions en sont bouleversés. D'emblée, le film nous met en garde contre une menace autrement plus dangereuse que la simple tentation du mal. Des explications s'imposent...
Au tout début du film, le père Merrin découvre les ruines d'un culte au démon Babylonien Pazuzu. Roi des démons du vent, fils du dieu Hanbi, il est à la fois force de destruction et de protection. Protecteur des mères, il est invoqué dans des rituels pour assurer la sécurité des enfants et son effigie orne des amulettes. En dévoilant les ruines, le père Merrin libère Pazuzu. On connait la suite. Le démon possède l'innocente Regan Macneil. Forcément, Pazuzu doit être ici une force du mal, n'est-ce pas?
Changeons de parallaxe. Faisons maintenant une analyse vaudouique.

Tous les démons du panthéon judéo-chrétien furent bien avant, au sein de cultes anciens, des forces créatrices, des anges, parfois même des dieux. Avant l'équarrissage barbare de ces archétypes par les trois grands monothéismes, Pazuzu n'y faisait pas exception. Les démons, affublés de parties animales, d'instinct dévorant et de volupté sauvage étaient des forces de fertilité, de virilité. Leur vouer un culte assurait la pérennité d'une récolte, la santé d'un enfant.

Une idée: pendant plusieurs millénaires, ces archétypes (que les dieux et les démons existent véritablement ou pas ne change rien à l'effet qu'ils exercent potentiellement sur l'inconscient collectif) occupaient une place précise dans le cerveau global de nos civilisations. Ils nous définissaient. Du jour au lendemain, les religions modernes, jeunes et arrogantes, décident d'associer à ces forces des connotations négatives; honte, culpabilité, tentation, luxure. Qui plus est -et c'est là un impardonnable sacrilège qui pèsera lourd sur la conscience collective pour quelques siècles encore-ils ont retiré du féminin toutes notions de sacré. Collectivement, dans les mécanismes mémiques du cerveau global, la mémoire se souvient de ce que ces forces représentaient vraiment: des impératifs humains d'une violence inouïe à qui nous avons donné forme pour les canaliser, les comprendre. Nier en bloc notre animalité, nier le démon, comme l'occident l'a fait si lourdement depuis 2000 ans, ne peut que produire des dommages irréversibles à la conscience collective.
Le vaudou n'a pas ce problème. Même au sommet de son synchrétisme, il épouse toutes les facettes, y compris les plus extrêmes, du spectre de l'émotion humaine. Il ne fait pas négation de la moindre force. En outre, la possession par une Force, un loa représente un honneur immense, peu importe le résultat. C'est même un des buts ultimes du Vaudou. Est-ce que Regan Macneil est possédé par une force du mal? Pas du tout. À une autre époque, elle aurait été perçue comme un chamane, une sorcière, un oracle. De nos jours on dit volontiers un medium. Elle a le shining. Imaginez maintenant que ce refoulement soit libéré en même temps que les ruines creusées par le Père Merrin en Irak (on va creuser trop loin dans les terres arides et pétrifiées de notre inconscient). Supposons que le mème de Pazuzu, ensemble d'idées virales précises isolées dans un symbole, cherchant à se répliquer au plus grand nombre soit violemment libéré après quelques millénaires de refoulement collectif. Serait-il possible qu'un éveillé, un médium, quelqu'un qui a le Shining, ou mieux encore, quelqu'un qui est particulièrement sensible aux déferlements de l'information mémique soit affecté comme la petite Regan? Ça me semble plausible. Dans le corps de la jeune fille, petite bourgeoise athée élevée par une mère égoïste, si le potentiel cérébral est plus développée, il y a le refoulement millénaire de toute une collectivité (le démon se dit légion) niant ses instincts le plus violents. Pour faire une métaphore maladroite mais appropriée, elle serait le récepteur radio d'un signal puissant que nous percevons collectivement comme du simple bruit ambiant, mais chez elle, le volume est au bout.
Vulgarisons. Regan est une jeune fille dont le potentiel cérébral est hautement développé, elle est sensible au programmations mémiques, elle reçoit en rafale les idées virales d'une conscience globale. Cette sensibilité, qui devrait être un don, devient une malédiction lorsque la jeune fille reçoit des informations provenant du refoulement collectif, sous la forme mémique de Pazuzu, un trickster babylonien du vent. Si elle en souffre, c'est que notre refoulement collectif est immense.

  • Elle fait démonstration de capacités extrasensorielles et surhumaines=Le mot clé ici est surhumain. Elle ne tente pas précisément d'effrayer, d'ailleurs elle ne blesse personne à l'excès (si on exclu le possible meurtre non prouvé du personnage de Burke Dennings). Elle démontre simplement le déferlement de potentiel dont le corps et l'esprit sont capables quand le refoulement est évincé (du moins, chez ceux qui sont éveillés). Les yogis ne font que ça et plusieurs de leurs accomplissements pourraient ressembler à une possession sous le regard peu scrupuleux du fanatique chrétien de jadis. La violence et la fierté que Regan-possédée démontre en posant ces gestes est ludique et provocante.

  • Elle est sexuellement agressive= comme en témoigne la fameuse scène de masturbation avec le crucifix. Soulevons la question: désacralise t-elle banalement un artefact religieux ou affirme t-elle une victoire charnelle et féminine sur un symbole de mort et d'émasculation, associé à la répression des instincts?

  • Elle se moque, particulièrement des prêtres= l'esprit ancestral, connecté au sacré par la terre et les éléments, trouve ridicule et prétentieuse la conviction de l'homme qui pense communiquer avec l'Un en niant tout ce qui le constitue, se niant finalement lui-même.
    Elle expose la culpabilité et la honte des gens, comme celle du Père Karras qui vient d'abandonner sa vieille mère=c'est le travail d'un trickster; exposer les vulnérabilités de l'autre par le fourberie et la tromperie pour le rendre plus fort.
Elle vomi, sent la merde, l'urine et la pourriture= Question de ne pas pouvoir évincer la présence de la vie, de la chair. Le vivant, c'est aussi une quantité non négligeable de sécrétions, d'odeurs nauséabondes. On ne s'en affranchit pas tant que l'on vit. Pazuzu ne fait rien que plusieurs loas (esprits vaudous) n'ont fait des centaines de fois à des gens qui les accueiillent à bras ouverts, y compris des enfants. Dans l'acceptation, les résultats sont plus significatifs. Des réponses cruciales sont fournies. Dans le déni, encouragé et projeté par tout un groupe, cette possession devient mortelle.

Sous ce nouvel angle, The Exorcist trouve un potentiel de terreur supplémentaire, autrement plus grave. L'essence du film nous dit que les dommages causés par la répression religieuse et morale sur notre instinct collectif est trop grand pour être contenu et que le débordement est inévitable. Que des idées archétypales séculaires comme la fertilité virile, le féminin sacré, le trickster figure ne peuvent être démonisés sans de graves conséquences pour l'inconscient collectif global. Et que finalement, pour des individus comme Regan, des véritables Élus accordés aux vibrations du monde, il n'y pas de démons, il n'y a que des idées sacrées et anciennes qui ruent violement de leurs sabots dans ces étables non entretenus et étroits que sont nos esprits. Cette version de The Exorcist est de loin la plus effrayante.

4 commentaires:

  1. Francis: je voudrais simplement savoir pourquoi.
    please?

    RépondreSupprimer
  2. tres plausible ! un tres bon point de vu ! merci

    RépondreSupprimer
  3. "Cette version de The Exorcist est de loin la plus effrayante".
    Bah,vous n'y connaissez probablement rien en théologie chrétienne et probablement encore moins en théologie catholique; je ne sais pas même si vous vous êtes jamais penché sur les convictions de Blatty (cf.la Neuvième Configuration); enfin vous vous affirmez incroyant.
    Vous pouvez bien parler de loa, de mana etc., la dimension que vous évoquez traverse le film mais s'y arrêter, c'est du chemin ne faire qu'une partie.Hahaha, l'exorciste est une putain de belle illustration (un peu hystérique) de sujet religieux! Parole de converti.
    Lisez "le XIXème siècle à travers les âges", Le bouquin devrait ravir un Homo Sapiens tel que vous.
    Bravo pour votre blog

    RépondreSupprimer
  4. Avez-vous connu l'occulte ? Moi oui, de très près, hélas ! Vous déblatérez à la manière d'un intello arrogant, sans connaissance ! et Anneliese Michel aurait, 'elle aussi été considérée chamane ? C'est grotesque? L'Exorciste est un film Juif, un énième pour déconsidérer le christianisme !

    RépondreSupprimer