Fait deux ans que j'attends patiemment Antichrist de Lars Von Trier. Tout dans ce film me semblait être une bénédiction pour le cinéphile que je suis. L'horreur est mon genre préféré, surtout quand il se conjugue à la métaphysique. J'aime tout de Lars Von Trier; tous ses films, sa prétention neurasthénique de mégalo, son cynisme plein de connivences, son dogme 95. Tout. Plus les gens le détestent, plus je l'adore. Quand il annonça, quelque temps avant la sortie de sa comédie The Boss of it all (on parle de 2006!), qu'il ferait un film d'horreur, j'étais aux anges. Un film d'horreur métaphysique, qui plus est, inspiré d'un de ses maîtres à penser, Tarkovsky. J'étais littéralement extatique. La gloire. Que la controverse vienne! Que son brûlot choque! J'adore que Trier soit détesté: il est un digne fils de Loki, un trickster, un fouteur de merde. Il suffit de voir son documentaire-essai The Five Obstructions pour comprendre la fonction de régulateur que se confère le danois sournois. Antichrist. Comme je t'ai attendu. Comme un amant nerveux qui sait qu'il va se faire violer. Gainsbourg gagne la Palme d'or. Tout va bien. Le film choque. Génial. Un prix oecuménique fantoche plus tard, c'est encore mieux. J'aime tellement Von Trier, ce petit salopard à l'oeil torve, je l'adore...Fébrile, je commence le film hier soir. Mon salon est plongé dans l'obscurité. Les recoins les plus malsains de mon âme sont gorgés de lubrifiants. Je suis prêt pour un viol en profondeur.
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Après l'ouverture assez pompeuse, relecture baroque de la scène d'ouverture de Don't look now (on a beau y montrer un pénis défonçant de la Charlotte, la scène n'arrive pas à la cheville de celle de Roeg, plus torride alors que les années passent), je me dis que le film avait besoin de ces trente minutes pour installer une profonde spirale de désespoir et de culpabilité. J'aime la langueur au cinéma, voire même la lenteur. D'emblée dans le médium de l'horreur. Je me dis que cet ennui qui s'installe en moi n'est pas habituel. Après tout, Von Trier est reconnu pour son utilisation de procédé hypnotique (les rails de train de Europa me captivent à toutes les fois). Je ne me suis jamais emmerdé une seconde en regardant un seul Tarkovsky (pas même les scènes d'autoroute dans Solaris). Des gens qui baisent en noir et blanc au ralenti sur du Händel, c'est bien non? Qu'est-ce qui m'arrive?
Je regarde. J'écoute. Dafoe est drôlement éteint. C'est probablement volontaire (il est psychiatre). Gainsbourg est une comédienne ordinaire et j'imagine qu'il veut la laisser s'exprimer. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on lui demande de copier copieusement, presque plan par plan, au décibel près, l'hystérie inoubliable d'Isabelle Adjani dans Possession d'Andrzej Zulawski. Ah tiens, elle aussi avait gagné la Palme d'or en 81...
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L'imitation (celle de Gainsbourg au jeu et Von Trier à la réalisation) est tellement frappante qu'il devient impossible, pour toutes personnes ayant vu la cicatrice sur pellicule qu'est Possession, de ne pas s'y référer en regardant Antichrist. C'est pour ainsi dire presque le même film, mais la version ...sentier d'hébertisme. Antichrist grappille un peu à Don't look now, beaucoup à Possession et donne à toute l'affaire un rythme et une dialectique vaguement Tarkovskienne. Ce qui en fait un film en retard de plusieurs décennies. Oui madame. C'est vous dire si le film devient inintéressant si il n'imite pas. Les petites mutilations à coup d'outil rouillé sont drôlement grandguignolesques dans ce film, comme si on avait greffé une scène de Saw dans un Haneke.
Attendez! On y retrouve forcément une profonde et prenante réflexion sur le Mal ultime, force impalpable régnant en maître sur l'église de Satan, la Nature? T'sais, comme l'arbre maudit dans le Charisma de Kiyoshi Kurosawa? Ou comme tous les films de Werner Herzog? Il doit bien y avoir quelque chose dans ce truc non? Ça ne peut pas simplement être un Don't look now-Possession à la Tarkovski-Herzog non?
Eh ben oui.
Dans vingt ans, ce sera simplement un film oublié. Faudrait pas confondre lent et long, profond et creux. Le film se résume parfaitement bien par le biais d'une scène, qui se voulait effrayante et sombre vite dans l'hilarité. Dans une clairière où se trouve Dafoe, quelques feuillages s'agitent. En fouillant, il y trouve le cadavre d'un renard s'auto cannibalisant (le totem involontaire de Von Trier?) qui se lève et dit "le chaos règne".
Putain que cette scène me fait rire. Du coup, on est dans Neverending Story...
...sauf qu'au lieu d'avoir Gmork, un loup parlant et serviteur du Néant qui disserte de manière horrible sur le vide, on a un roadkill qui dit deux mots. C'est génial. C'est douteux.
Le chaos règne... t'en a d'bonnes Lars. Ben oui qu'il règne le chaos. Brr. Fait froid hein? Le monde est hostile. Les madames aiment ça crier et faire du mal aux monsieurs. Ok. Je suis d'accord, mais encore...c'est tout? Holy cow and wholy chao!
Tiens... je m'en permets une faible. Ton film, Lars, l'est pas profond, l'est pas choquant, l'est pas sulfureux. Il est juste Antichrist(ment) chiant.